Quand le corps se rebelle, l'âme souffre

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Jacinta (Espagne, 29 juin 2005)


J’avais dix-neuf ans. Mon désir de grandir, de devenir une femme se heurtait à un infantilisme réducteur, à des raisonnements sibyllins, aux différents « traitements de faveur » accordés aux plus âgées et à leurs caprices, à des corrections fraternelles ridicules et mesquines de directrices formatées, immatures jusqu’à la moelle et avides de l’intimité des autres… Tout un univers épuisant et artificiel.

Combien de semonces dans le confessionnal parce que la superstructure, comme je l’appelais, m’asphyxiait. On m’expliquait en long et en large que j’étais victime de mon orgueil, de mon esprit critique, de moi-même. « Domine ut videam… » (« Seigneur, que je voie » phrase du fondateur)…

La seule idée de vieillir auprès de mes compagnes m’arrachait des larmes. C’est dans cet état d’esprit que je « fis la fidélité » [engagement définitif dans l’Opus Dei] parce que, selon les directrices, il était clair comme de l’eau de roche, que je devais la faire.

Arriva ce qui devait arriver. Je commençai à avoir des insomnies et à dormir pendant la prière du matin. Mon petit-déjeuner se composait de quarante corrections fraternelles sur le même thème. Je devins boulimique sans savoir ce qui m’arrivait. Moi qui étais plutôt maigre, je me mis à grossir de manière répugnante. Vinrent les crises d’angoisse, les peurs paniques de sortir seule dans la rue, d’être au milieu d’une foule, de dormir, de ne pas dormir.

Je voulais enseigner à l’université, mais les « opusiens » ne cessaient d’entraver ma « liberté de femme ordinaire ». Je ne pouvais rien faire, ni assister à des réunions de travail le soir, ni parler avec mon directeur de thèse dans son bureau…

Je passais par des moments où je ne faisais que pleurer. J’essayais de me raccrocher à la prière, mais c’était le désert. Et bien entendu, je ne pouvais en parler à personne et personne ne s’approchait de moi, pour me demander ce qui m’arrivait. Commencèrent alors les voyages dans une clinique de l’Œuvre, les consultations auprès d’un spécialiste, spécialiste de quoi je me le demande encore, car je n’ai jamais pu choisir moi-même mon médecin, et on ne me donnait aucune information sur les traitements que je prenais. Je ne connaissais ni les diagnostics posés, ni les résultats de mes analyses médicales. Tout ce que je sais, c’est que je devais prendre un traitement « de cheval » qui perturbait ma mémoire, abîmait ma concentration et m’empêchait de continuer mes études. À cette époque, pratiquement seule dans cette maison, je commençais à ressentir la soif véritable d’une famille authentique, d’une affection sincère.

Devant l’ampleur du désastre, je ne mangeais plus, je pleurais le matin, je pleurais la nuit. On changea alors de ton à mon égard : les malades sont le trésor de l’Œuvre. Dieu m’avait voulue dans cet état et je devais l’accepter. Comme j’étais apparemment incurable, la maladie devenait ma nouvelle vocation.

À cette perspective, quelque chose se brisa en moi. Je perdis tout espoir, toute force pour lutter pour ma vocation et surtout pour continuer à vivre. Je demandais à Dieu : « Fais que je m’endorme pour ne plus jamais me réveiller… Dans ton infinie bonté, délivre-moi de cette vocation que je ne peux assumer ». J’avais offert toutes les forces de ma jeunesse pour répondre à cette demande du fondateur de « noyer le mal dans une abondance de bien » et je me retrouvais à supplier Dieu de mourir à l’âge de vingt-quatre ans… Et ce fut Dieu Lui-même qui, dans son infinie miséricorde – je ne plaisante pas, je lui en suis éternellement reconnaissante –réveilla en moi l’instinct de survie, déclencha l’alerte m’indiquant que quelque chose ne tournait pas rond. Alors, sans rien dire – je n’avais pas la force de parler - je préparai mon départ.

Le harcèlement ne se fit pas attendre : j’avais fait de la peine au Père (le prélat), je leur devais encore de l’argent (sic !), toutes les malédictions de l’Apocalypse allaient s’abattre sur moi, je serais toujours malheureuse et rendrais les autres malheureux parce que j’avais tout raté…

Pourtant, quelques mois plus tard, j’avais retrouvé la santé, mon poids normal, repris mes études et découvert avec émerveillement la vie normale d’une fille de vingt-cinq ans.

Aujourd’hui, dix ans plus tard, je n’ai aucun regret d’être partie. J’ai un bon travail, un mari formidable qui a réconcilié en moi l’amour humain et divin. J’ai une petite fille magnifique, j’attends un bébé, je suis entourée d’amis Désormais, je vis l’âme en paix, un sourire spontané aux lèvres, même si parfois la nuit des cauchemars « opusiens » reviennent me hanter.