Entretien avec Bruno Devos

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Entretien avec Bruno Devos, paru dans L’Émancipation syndicale et pédagogique - 9/10/2009


Bruno Devos, La face cachée de l'opus Dei - Documents secrets : les vérités qui dérangent, éditions Presse de la Renaissance, 248 pages, aout 2009, 16,90 €.

L'Émancipation : J'ai lu votre ouvrage. On y trouve a la fois un témoignage personnel, le vôtre, et une analyse des textes et déclarations de l'Œuvre, ainsi que d'autres témoignages très divers provenant de nombreux pays différents. Comment devient-on "numéraire de l'Opus Dei"? S'agit-il avant tout d'une vocation, de l'accomplissement d'un idéal ou de la chute dans un piège tendu par une pieuvre qui cache son jeu ?

Bruno Devos : Les personnes qui s'approchent de l'Opus Dei sont des catholiques qui cherchent à approfondir leur relation a Dieu et leur vie de prière. Ils ont les meilleures des intentions et se dirigent vers une institution bénie par l'Église.

Les membres de l'Opus Dei ont déjà suivi le même parcours : ce sont des catholiques qui ont exprimé leur désir de se consacrer a Dieu en suivant la spiritualité proposée par l'Opus Dei. Cependant, on les a convaincus, une fois a l'intérieur, que le recrutement de nouveaux membres (ce qu'ils appellent "prosélytisme") est la meilleure manière de servir Dieu et l'Église. C'est a ce niveau que les membres commencent a se fourvoyer : le désir de capter de nouveaux membres remplace leur désir de servir leur prochain.

Au lieu de contempler l'action du Saint Esprit dans les âmes et d'observer comment Dieu attire les personnes à son service, les membres de l'Opus Dei prennent les choses en main : on leur apprend différentes techniques de psychomanipulation pour qu'un maximum de personnes "découvrent" leur obligation d'entrer dans l'Opus Dei. Suite a un harcèlement constant, beaucoup finissent par adopter la spiritualité de l'Opus Dei comme l'unique voie qui peut les mener a Dieu. J'estime que ceux qui entrent dans l'Opus Dei sont le plus souvent des victimes qui sont conditionnées pour, a leur tour, devenir bourreaux.

Tous ne se prêtent pas a ce jeu et, une fois a l'intérieur, certains ont suffisamment de lucidité d'esprit pour se rendre compte de la supercherie et abandonnent rapidement l'Œuvre. Cependant, l'effort de prosélytisme de l'Opus Dei est dirigé de préférence envers des adolescents qui n'ont pas les connaissances ni la maturité nécessaires pour faire un tel discernement. Avec le temps, elles deviennent convaincues que les méthodes de recrutement employées par l'Opus Dei sont communes et s'y adonnent corps et âme. Leur responsabilité personnelle est conditionnée par l'immaturité dans laquelle ils sont maintenus jusqu'à la fin de leur vie. Ils croient sincèrement servir leur prochain, alors qu'en réalité ils sont les agents d'une grande supercherie. Par contre, je n'exempterais pas de responsabilité les plus hauts directeurs de l'Œuvre, qui doivent avoir conscience que leur méthode de recrutement est la même que celle utilisée par d'autres sectes. Ils sont malheureusement tellement fanatiquement convaincus que ces méthodes ont été transmises par Dieu a leur fondateur, qu'ils rejettent avec effroi tout raisonnement de cette sorte.


L'Émancipation : Votre livre dévoile un certain nombre de faits passibles de poursuite judiciaire contre l'Opus Dei. Certaines victimes ont elles essayé d'attaquer l'Œuvre ?

B.D. : Il faut prendre en compte que l'on sort de l'Opus dénudé et confondu. On a consacré a cette cause tout son argent gagné par le travail, tout son patrimoine, toutes ses années de travail, de santé et de vie. Il ne reste plus rien, absolument rien, pas même des idées, pas même l'envie de vivre, des amis et, dans beaucoup de cas, de foi. Rien. On doit recommencer la vie depuis zéro. Ni travail, ni famille (que l'on n'a plus vue depuis des années), ni convictions. Rien, a part une santé fragile. Beaucoup sont sans sécurité sociale, malgré de nombreuses années de travail. De surcroît, on sent sur sa tête l'épée de Damoclès d'une possible condamnation éternelle pour ne pas avoir été fidèle, pour ne pas avoir su faire les normes, pour ne pas avoir été le fils du Père Escrivá et ne pas avoir répondu a l'appel que Dieu avait préparé de toute éternité. Parmi les anciens membres, on observe de nombreuses dépressions et pertes de foi. Beaucoup souffrent de "fatigue chronique", de "stress posttraumatique" et de dépression. En tout cas, ils sont terriblement isolés.

Il faut prendre en compte l'énorme fatigue de ceux qui sortent de l'Œuvre. Ils sont désireux de fermer une page de leur histoire, mais ils ont aussi perdu confiance (qui est pourtant une composante basique de l'être humain). Ils doivent faire face à la solitude dans laquelle ils ont vécu pendant plusieurs années, à leur perception intime de ne pas être protégés par une Église qui appuyait et encourageait l'Œuvre, allant même jusqu'à canoniser son fondateur. Sans oublier la honte de s'être comporté comme le bourreau des autres, ou d'avoir collaboré activement dans l'exercice d'attentats contre les droits humains, des délits fiscaux, ou de s'être ingéré dans l'intimité de tiers.

Les plus courageux ont eu l'audace de prendre la parole ces dernières années. Certains ont même voulu témoigner dans le procès de béatification et de canonisation d'Escrivá. L'une des premières numéraires et secrétaire personnelle du fondateur, Maria del Carmen Tapia, a écrit un livre et envoyé trois lettres au cardinal Sodano, demandant de témoigner devant le Vatican de ce qu'elle avait vu et entendu. Ce fut inutile. Le Vatican n'a pas répondu à ses protestations, et les témoignages de dissidents n'ont pas été admis dans un procès de béatification et de canonisation ou l'Opus était a la fois juge et partie. Les livres des anciens membres furent rachetés par l'institution elle-même jusqu'à épuisement du tirage, on condamna au silence ceux qui protestaient et on répandit des diffamations. Leurs accusations préférées sont le sexe, l'hérésie ou la folie. Dans ces conditions, on ne s'étonne pas du silence gardé pendant des années par les victimes ou leurs proches. Ils ont préféré s'intéresser a autre chose parce qu'ils avaient l'intuition du danger.

Certains ont intenté des procès pour cause de non cotisation a la sécurité sociale des prêtres ou des directeurs qui travaillent pour l' Ouvre a temps plein. Il est toutefois difficile d'apporter des preuves : aucun document n'est remis aux membres de l'Opus Dei. Sauf les prêtres, les membres sont dans l'impossibilité de prouver sur papier leur appartenance à l'institution. Les laïcs peuvent passer des années à l'intérieur sans disposer d'aucun document qui prouve leur appartenance, ni les études qu'ils ont réalisées dans l'Opus, ni les postes qu'il y ont exercés.


L'Émancipation : L'Opus Dei apparaît comme un état dans l'état et la hiérarchie de l'Église semble soutenir une "institution" qui de plus en plus montre sa véritable face de secte. Qu'en est-il aujourd'hui des liens ?

B.D. : L'Opus Dei a obtenu tous les avantages dont elle jouit durant le pontificat de Jean-Paul II : l'indépendance avec le statut de prélature personnelle (un an avant que cette forme juridique soit régulée à travers le nouveau code de droit canon), la béatification et la canonisation du fondateur, les nominations d'évêques et d'un cardinal de l'Opus Dei, des postes-clefs au Vatican, etc. Le pontificat de Jean- Paul II était son temps de gloire. Nous allons voir si Benoît XVI aura le courage de rectifier ces erreurs. Pour moi, c'est le grand test. Quatre ans après sa nomination, je ne vois malheureusement rien de palpable.


L'Émancipation : L'Opus Dei aurait des relais politiques forts dans certains pays européens comme la France, avez vous quelques éléments d'information ou d'analyse ?

B.D. : La "pieuvre noire", comme on l'appelait, continue de hanter l'imagination, de faire peur. Effectivement, elle a eu ses moments de gloire dans les années 60 et 70, surtout en Espagne. Je suis désolé de vous décevoir : ces années fastes sont un passé lointain qui ne correspond plus du tout a la réalité d'aujourd'hui - l'Opus Dei est une institution qui traverse une grave crise du fait de son incapacité à évoluer, a se réformer, ou ne serait-ce qu'à s'adapter aux temps modernes.

L'ère des banquiers et des politiciens de l'Opus Dei est résolument révolue. Il ne reste plus rien. Cette grande organisation effrayante d'efficacité a essuyé des échecs dans tous les domaines ou elle s'était investie : la politique, la finance, le cinéma, la presse, l'édition, la mode, l'économie, l'université, etc. Elle s'est repliée sur les deux derniers domaines indispensables à sa survie : l'éducation et le monde ecclésiastique. L'éducation (de la maternelle au lycée) dans le but d'inciter les élèves a devenir numéraires. Le monde ecclésiastique dans le but de perpétuer l'état d'exception qui permet a l'Opus de fonctionner comme une Église parallèle sans aucun contrôle.

Après la mort de Jean-Paul II et la nouvelle sensibilité des parents, ces deux domaines sont également en train d'échapper au contrôle des stratèges de l'Opus.


L'Émancipation : Un ancien "légionnaire du Christ" âgé de 50 ans m'a envoyé le message suivant apres avoir pris connaissance du texte que j'ai écrit a propos de votre livre : "Ça me fait pas mal penser au fonctionnement de la Légion. C'est effrayant. Verrons-nous un jour le Vatican " dé-canoniser " le saint fondateur de ce mouvement ? En tout cas, aucune chance pour la canonisation du fondateur des Légionnaires du Christ. Comment avons-nous pu en arriver la ? Mon Dieu, pauvre Église…". Pensez vous qu'au sein de l'Église, il est encore possible de combattre tous ceux qui au plus haut niveau de la hiérarchie soutiennent les intégristes, légionnaires du Christ, opusiens, adeptes de feu Mgr Lefebvre ?

B.D. : Je ne peux pas vous dire si, au sein de l'Église, il est possible d'influencer les éminences du haut niveau. L'Église, telle que nous la connaissons aujourd'hui, est l'une des dernières monarchies (pour ne pas dire tyrannies) en place. Depuis 500 ans, elle est organisée comme une structure hiérarchique. C'est le sommet qui influence la base, jamais le contraire. L'idéal séculier a disparu : même les prêtres diocésains sont recrutés et organisés comme s'ils étaient des moines : le célibat et l'obéissance militaire envers les supérieurs sont exigés.

Cette Église, qui est en retard de plus de 200 ans sur l'évolution des mentalités, est condamnée à disparaître. Elle a d'ailleurs déjà disparu, il n'en reste que des vestiges : des églises vides et des prêtres âgés de plus de 70 ans. Dans 20 ans, il n'y aura plus personne : ni prêtres, ni paroissiens. Un mouvement de renouveau avait été amorcé il y a 40 ans avec le concile Vatican II. Ce mouvement n'a pas porté les fruits espérés, et Benoît XVI est dans la continuité de Jean-Paul II : au lieu de réformer, il essaye de perpétuer le modèle d'une Église qui a déjà échoué. Cela ne prédit rien de bon.


L'Émancipation : Les catholiques progressistes qui en France se réclament de la laïcité n'ont plus - et on les comprend - d'illusions sur une évolution positive de l'Église qui reste effectivement une force de régression sociale et culturelle. Aujourd'hui de nombreuses sectes continuent a faire encore beaucoup de dégâts. N'est-il pas nécessaire et même indispensable de demander leur dissolution ?

B.D. : Il est nécessaire et indispensable de mettre fin aux abus qui sont commis sous le couvert de l'Église. Toute réforme venant de l'intérieur de l'Église est entravée par le fait que, dans cette institution, il n'y a pas de séparation entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Les oppresseurs sont en même temps ceux qui reçoivent les éventuelles accusations et qui les traitent. Ils se croient les détenteurs exclusifs des clefs du paradis et ont tout pouvoir sur les âmes. Dans cette situation, les victimes n'ont aucune chance.

Les dérives sectaires que je dénonce dans mon livre ne concernent pas uniquement l'Opus Dei. Elles sont présentes dans les "nouveaux mouvements" qui en réalité souscrivent a une théologie obsolète, préconciliaire, peuplée de péchés et de démons. Cela concerne par exemple les légionnaires du Christ, le Chemin néocathécuménal et bien d'autres.

L'Opus Dei est l'exemple flagrant des extrémités auxquelles une telle approche peut aboutir. C'est très instructif, et c'est ce que je montre dans mon livre, preuves en main. J'espère que cela pourra aider a faire évoluer les choses.


L'Émancipation : Je vous remercie pour la franchise de vos propos. J'invite les lecteurs a se procurer votre livre particulièrement intéressant et utile dans notre combat contre tous les intégrismes.

Propos recueillis par Jean-François Chalot